Publié dans : Blog
Posté sur : 13 juin 2025
Par Iván Barradas
En 2002, le gouvernement canadien a proclamé le 27 juin « Journée canadienne de multiculturalisme », une célébration des contributions des divers peuples du Canada à la société canadienne[i]. Cette journée vise à mettre en lumière la richesse de la diversité culturelle présente au Canada, ainsi qu’à reconnaître l’apport inestimable que les diverses communautés culturelles ont apporté à la société canadienne.
Bien que le concept de multiculturalisme soit clair et bien compris par la plupart des Canadien·ne·s, j’ai constaté, dans le cadre de ma pratique professionnelle en tant qu’éducateur de la DÉIA, que ce terme peut prêter à confusion, en particulier en ce qui concerne la distinction entre les termes « pluralité culturelle » (aussi appelé « pluriculturalisme ») et « interculturalisme ». Ce dernier terme a d’ailleurs été appliqué au Québec. L’objectif de ce blogue est donc de clarifier l’utilisation et la pertinence de ces trois concepts qui sont essentiels pour comprendre la diversité des opinions et les divergences sociohistoriques et culturelles au Canada.
Examinons un terme à la fois.
Le multiculturalisme (au sens large) est la coexistence de plusieurs cultures et ethnies au sein d’une société. Mais au Canada, c’est plus que cela. Il s’agit d’une politique fédérale (et ce mot est clé!) établie en 1971 pour « préserver la liberté culturelle individuelle et reconnaître les contributions des divers groupes ethniques »[ii]. Cette politique a été modifiée à plusieurs reprises avant d’être intégrée dans une loi en 1988. Ainsi, la Loi sur le multiculturalisme canadien reconnaît désormais que la diversité culturelle de tou·te·s les Canadien·ne·s, « sur les plans de la race, de la nationalité d’origine, de l’origine ethnique, de la couleur et de la religion constitue une caractéristique fondamentale de la société canadienne »[iii].
Il est également important de mentionner que cette loi souligne l’importance de la Loi sur les langues officielles, de la Loi sur la citoyenneté et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, trois règlements essentiels pour comprendre les spécificités du multiculturalisme au Canada. Cela s’explique par le contexte social, démographique et culturel de l’époque où la loi a été adoptée. En 1988, les restrictions raciales appliquées à la politique d’immigration depuis les années 1960 et 1970 avaient été supprimées et, par conséquent, le Canada avait connu une migration importante en provenance d’Asie orientale, d’Afrique, des Caraïbes, du Moyen-Orient et d’Amérique du Sud — en particulier dans les grandes zones urbaines de Toronto, Vancouver, Calgary et Montréal.
Ces communautés ont commencé à exprimer un désir grandissant de mettre en évidence leurs racines culturelles grâce à des mesures concrètes de cohésion sociale, démontrant ainsi leur intégration dans le groupe ethnique dominant. De plus, en 1988, la population canadienne comptait environ 26,5 millions de personnes. À ce moment, on commençait à s’inquiéter du vieillissement de la population, alors que l’économie se remettait de la récession majeure survenue au début de la décennie.
En résumé, ce sont les raisons — et le contexte — pour lesquelles le multiculturalisme canadien encourage tou·te·s les individu·e·s à conserver leur identité culturelle, leurs festivités, leurs traditions, leurs langues et leurs pratiques, promeut l’inclusion sans exiger une conformité culturelle totale et s’enracine dans un modèle à multiples facettes, où de nombreuses identités culturelles coexistent.
L’un des nombreux exemples de multiculturalisme au Canada est le African Descent Festival, qui se tient chaque année à Vancouver. Il vise à raviver le patrimoine des personnes d’ascendance africaine du centre-ville de Vancouver, de la Colombie-Britannique et du Canada et, ce faisant, s’aligne sur la politique de multiculturalisme du Canada en célébrant la spécificité culturelle dans un contexte canadien plus large, sans pour autant exiger le mélange des cultures.
Examinons maintenant la « pluralité culturelle ».
La « pluralité culturelle » (ou « pluriculturalisme ») correspond à la coexistence de plusieurs groupes culturels au sein d’une société[iv]. À cet égard, elle est comparable au multiculturalisme. Cependant, la pluralité culturelle ne veut pas nécessairement dire des politiques actives qui encouragent la diversité et l’inclusion. Elle n’implique pas non plus une approbation gouvernementale ou un soutien actif envers les différences culturelles. Au contraire, elle adopte une approche simple et descriptive qui met de l’avant la coexistence de plusieurs cultures, mais qui ne propose pas d’intégration structurée ni de reconnaissance officielle, comme le multiculturalisme.
Un exemple de pluriculturalisme au Canada serait celui d’un·e immigrant·e de deuxième génération naviguant entre les cultures scolaire et familiale. Plus précisément, un·e élève « mexicanadien·ne » de Halifax, qui parle anglais à l’école et espagnol à la maison, et qui célèbre à la fois les fêtes canadiennes (par exemple, la fête du Canada) et les traditions mexicaines (par exemple, la fête des Morts). Ce faisant, l’étudiant·e évolue entre plusieurs sphères culturelles et intègre des aspects des deux, de sorte que son identité culturelle n’est pas figée dans une seule communauté, mais fluide, en fonction du contexte social.
À ce stade, vous vous demandez peut-être :
Quelle est l’utilité de comprendre le sens du terme « pluriculturalisme » et de l’utiliser régulièrement (surtout en travaillant dans l’espace DÉIA), si nous vivons au Canada, un pays reconnu par sa politique louable de multiculturalisme, où nous célébrons tou·te·s la diversité des cultures et l’équité des conditions d’expression, indépendamment de notre origine nationale et de nos communautés d’appartenance?
Pour plusieurs pays ayant une composition multiethnique et multilingue, une histoire harmonieuse et des valeurs communes, le multiculturalisme semble être une panacée, mais ce n’est pas le cas.
En fait, le multiculturalisme présente aussi des limites.
Dans un pays plurinational comme le Canada, il existe plusieurs nations historiques (c.-à-d. les nations autochtones, la nation québécoise), ainsi que d’innombrables identités nationales et transnationales (où de nombreuses personnes développent une appartenance à des communautés distinctes dont elles se sentent partie prenante). L’utilisation du terme « multiculturalisme » pour circonscrire la complexité des défis sociaux canadiens en 2025 peut donc s’avérer inexacte et réductrice.
Le multiculturalisme célèbre effectivement la diversité culturelle, mais il ne favorise pas nécessairement une meilleure compréhension entre les différentes cultures, ce qui peut mener à l’isolement de certaines communautés au sein de la société. De plus, il néglige et minimise les voix de groupes méritant l’équité (comme les peuples autochtones, les personnes racisées et les immigrant·e·s) dont les luttes sont plus ancrées dans le colonialisme, le déplacement et l’exploitation économique que dans l’appréciation de la culture. On pourrait considérer le multiculturalisme comme un obstacle à la réaffirmation d’une identité nationale distincte, à la protection de la langue et au renforcement des valeurs séculaires. C’est le cas du Québec.
Il est intéressant de noter qu’après une brève consultation auprès de six collègues de la DÉIA (praticien·ne·s et éducateur·trice·s) vivant dans quatre provinces canadiennes, nous sommes tou·te·s d’accord pour dire que le terme « pluralité culturelle » est plus approprié pour décrire la société dans laquelle nous vivons.
Et c’est là qu’apparaît notre troisième terme utile : « interculturalisme » (tel qu’il est compris et appliqué dans la province de Québec).
L’interculturalisme est une approche de la diversité culturelle au Québec. À l’origine, le gouvernement provincial l’a mis en place en réponse à la politique fédérale du multiculturalisme (1971). Par la suite, il a gagné en popularité auprès des universitaires, des porte-parole des communautés et de certain·e·s artistes (tou·te·s vivant dans la province). Il a émergé en tant que concept au début des années 1980, et, depuis lors, ses caractéristiques ont été clarifiées. Voici quelques-uns de ses principaux points[v] :
Bien que l’interculturalisme soit un modèle qui guide la politique et le discours au Québec depuis plus de 40 ans, il est important de mentionner qu’il n’a jamais été formellement inscrit dans la loi. Malgré cela, ses directives ont été appliquées sans interruption par les autorités provinciales. En mai 2025, l’Assemblée nationale du Québec a toutefois adopté la loi 84, Loi sur l’intégration à la nation québécoise, qui vise à favoriser la vitalité et la préservation de la culture québécoise en tant que culture commune et vecteur de cohésion sociale[vi].
Un exemple d’interculturalisme au Québec est l’approche provinciale de l’intégration des immigrant·e·s, en particulier par le biais de la loi 101 (Charte de la langue française) et de la loi 96 (Loi sur le français, langue officielle et commune du Québec), qui font du français la langue de l’éducation et de la vie publique. En accord avec cette approche, le gouvernement du Québec encourage les échanges culturels et l’intégration des immigrant·e·s, mais autour d’un cadre central : la langue et la culture françaises.
Il est important de comprendre les différences entre le « multiculturalisme », le « pluriculturalisme » et l’« interculturalisme », car chaque concept reflète des approches différentes de la diversité, de l’identité et de l’intégration sociale, qui influencent directement les politiques, les relations communautaires et les expériences vécues par les individu·e·s et les groupes méritant l’équité au Canada.
Personnellement, je considère qu’il est non seulement bénéfique, mais aussi essentiel de clarifier les différentes facettes de ces termes comme un exemple de la grande divergence d’opinions qui convergent dans notre société. Ces distinctions peuvent sembler complexes (et elles le sont), mais, en même temps, elles démontrent le haut niveau de liberté des idées de chacun·e dans un pays où le respect prévaut encore et où le consensus est essentiel pour parvenir à des accords qui permettent le développement de notre diversité culturelle.
Références (cliquez ici pour consulter les sources)
[i] Proclamation désignant le 27 juin de chaque année comme « Journée canadienne de multiculturalisme », Site Web de la législation (Justice), Gouvernement du Canada, 2025. https://laws.justice.gc.ca/fra/reglements/TR-2002-160/TexteComplet.html
[ii] La politique canadienne du multiculturalisme de 1971, Musée canadien de l’immigration du Quai 21, 2025.
[iii] Loi sur le multiculturalisme canadien, Gouvernement du Canada, 1988. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-18.7/page-1.html
[iv] Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. UNESCO, 2005. https://www.unesco.org/fr/legal-affairs/convention-protection-and-promotion-diversity-cultural-expressions
[v] L’interculturalisme, un point de vue québécois. Gérard Bouchard. Boréal, 2012.
[vi] Projet de loi no 84, Loi sur l’intégration à la nation québécoise (titre modifié), Gouvernement du Québec, 2025. https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-84-43-1.html
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