Publié dans : Blog
Posté sur : 21 février 2024
Croyez-moi : je suis honnête en affirmant que presque une vingtaine d’années après avoir immigré au Canada, aucun obstacle n’a été plus difficile pour moi à surmonter que celui de la discrimination linguistique. Et ce même si je tiens en compte que je suis devenu un expert à surmonter plusieurs types d’obstacles à cause des stéréotypes causés par mon ethnicité (en tant que personne immigrante « racisée » vivant au Québec), mes traits physiques et mon orientation sexuelle… C’est juste pour vous en donner une idée.
En effet, j’ai été sidéré d’entendre (lors d’un entretien téléphonique) les mots d’une recruteuse lorsqu’elle m’a dit : « ton français est acceptable, mais on aimerait embaucher quelqu’un qui parle avec un accent québécois… Mais, s’il te plaît, ne le prends pas personnel » [!]. Juste pour vous mettre un peu plus en contexte, je ne parle pas d’une de mes premières expériences de travail dans le secteur manufacturier au début des années 2000, (pas de tout!); je parle plutôt de l’année 2020, lorsque la pandémie frappait fort et le Québec faisait face à une pénurie d’enseignant·e·s dans le milieu de l’éducation supérieure.
À ce moment-là, j’ai ressenti un coup de tonnerre et j’ai été envahi par différentes émotions. J’ai vu mon parcours professionnel dans la belle province défiler devant mes yeux : les années du programme complété de francisation (tant à l’oral qu’à l’écrit), mes trois attestations collégiales, mon expérience de plusieurs années comme entrepreneur dans le numérique ayant un solide plan d’affaires, ainsi que mon diplôme de maîtrise dans le domaine de langues modernes (curieusement, axé sur l’apprentissage de langues étrangères…).
C’est comme cela que j’ai compris que la discrimination linguistique (appelée aussi « glottophobie ») est bel et bien présente dans notre société.
Le terme « glottophobie » fut proposé pour la première fois en 1998 par le sociolinguiste français Philippe Blanchette. Il désigne « le mépris, la haine, l’agression, le rejet, l’exclusion de personnes, discrimination négative effectivement ou prétendument fondée sur le fait de considérer incorrectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques ». Bien que son créateur ait appliqué cette définition pour aborder premièrement la variété des accents parlés en France (ainsi que le plurilinguisme dans certains territoires de la francophonie), le terme a aussi trouvé des adeptes au Canada, par exemple, le professeur de l’Université d’Ottawa, Christian Bergeron, qui a publié en 2022 une étude pionnière sur « l’insécurité linguistique » et la « glottophobie » en Ontario.
Dans cette étude, M. Bergeron souligne les discriminations linguistiques, historiques et culturelles auxquelles sont confronté·e·s les francophones tant au Canada (majoritairement anglophone) qu’au sein de leurs propres communautés francophones. Néanmoins, au-delà de ces réalités, il faudrait prendre en considération les discriminations vécues par plusieurs minorités en quête d’inclusion ‒ notamment les communautés autochtones et les allochtones ‒ qui ne font pas partie des deux groupes linguistiques majoritaires.
De nos jours, on écoute de plus en plus dans les médias (ainsi que dans certains milieux académiques) que la glottophobie constitue un des derniers types de discrimination à combattre dans la société canadienne dite « multiculturelle » (mais qui suit une approche plutôt « interculturelle » au Québec).
Comparativement à d’autres formes de discrimination explicites (telles que le capacitisme, l’âgisme, la xénophobie ou la transphobie), la glottophobie pourrait paraître plus subtile, mais elle est également blessante. Elle déclenche un processus de stigmatisation sur la victime qui produit un sentiment d’exclusion, une barrière de communication, un manque de légitimité linguistique et une négation identitaire. En plus, elle peut entraîner des conséquences néfastes sur sa santé physique et psychologique, telles que la baisse de l’estime de soi, l’épuisement professionnel, l’anxiété, la dépression ou le trouble de stress post-traumatique.
Malgré cela, et même s’il existe de nombreuses mesures et procédures dans les trois paliers du gouvernement au Canada en matière d’accès et d’égalité en emploi, jusqu’à ce jour, aucune province ou territoire ne possède un plan d’action concret pour agir contre la discrimination linguistique. Dans un pays où la main-d’œuvre immigrante constitue une solution pour garantir le développement économique pendant les prochaines années, il faut cibler et combattre cet obstacle qui entrave la productivité des organisations et entreprises, et surtout, qui nuit à la santé physique et psychologique des individus.
A ce stade, une question s’impose : qu’est-ce qu’on pourrait faire de façon individuelle, avec nos équipes de travail et dans nos organisations dans le but de combattre la glottophobie? Pour répondre à cette question, quelques pistes de solution seront offertes dans la deuxième partie de cet article.
En attendant, je vous encourage fortement à éduquer ceux·celles recruteur·euse·s qui ne cachent pas leurs commentaires acerbes après avoir écouté votre accent. Et surtout, soyez fièr·e·s ! L’accent est un étendard de votre identité.
Inscrivez-vous à notre webinaire et rejoignez-nous pour une discussion sur la glottophobie en milieu de travail au Canada.
Références (cliquez ici pour consulter les sources)
Discriminations : combattre la glottophobie. Philippe Blanchet. Éditions Textuel, 2016.
« Est-ce que je suis assez bonne pour être ici ? » : anxiété langagière et discrimination linguistique en contexte scolaire québécois. Marie-Odile Magnan et al dans Revue canadienne de l’éducation 45:1, 2022.
Étude exploratoire de l’insécurité linguistique et de la glottophobie chez des étudiants universitaires de l’Ontario. Christian Bergeron, Philippe Blanchet et Mylène Lebon-Eyquem. Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, 2021.
Glottophobie. Philippe Blanchet dans Langage & Société, hors-série, 2021.
How HR professionals respond to second language accents, Cesar Teló et al on Talent Canada, 2023.
Language Identity and Discrimination in a Multicultural Society. Virginie Ekwere on European Journal of Linguistics, 2022.
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