Glottophobie : parlons de la discrimination linguistique au Canada (deuxième partie)

Publié dans : Blog
Posté sur : 2 avril 2024

par Iván Barradas, M.A. 

Tel qu’on a discuté dans la première partie de cet article, il faut tenir compte de deux caractéristiques particulières de la distribution linguistique au Canada, lesquelles nous obligent à prendre au sérieux la glottophobie comme un défi auquel nous sommes confronté·e·s en tant qu’agent·e·s de changement de nos communautés : 

  • Premièrement, selon le dernier recensement effectué en 2021, la majorité de la population canadienne était anglophone (75,5 %), sauf au Québec, où elle était principalement francophone (77,5 % dans la province). 
  • Et deuxièmement, le poids démographique de la population canadienne présente une distribution plurilingue dans les grands centres urbains (comme Toronto, Vancouver, Montréal, Calgary, Ottawa et Halifax), mais elle reste unilingue dans les vastes zones rurales. 

D’ailleurs, selon la même source, 474 langues se parlaient au Canada en 2021. En dehors du français et de l'anglais, c’étaient le mandarin, pendjabi, cantonais, espagnol, arabe, tagalog, farsi et ourdou les langues les plus parlées au pays. Ces données offrent un exemple de l’énorme quantité d’accents qu’on pourrait écouter dans nos vies quotidiennes. Malheureusement, lorsqu’il existe une diversité d’accents, il est fort probable qu’il existe aussi de la glottophobie. 

De même, il convient de mentionner qu’il y a encore 72 langues autochtones au Canada, parlées par une population estimée de 189,000 personnes. Les locuteur·ice·s de ces langues ont fait ‒ et continuent à faire ‒ face à la discrimination linguistique depuis l’arrivée massive des colonisateur·trice·s européen·ne·s vers la fin du XVe siècle. Ils·elles ont subi un génocide culturel atroce qui a décimé de nombreuses communautés, en rayant de la carte plusieurs langues ancestrales. 

Parallèlement, la glottophobie se pose comme un des grands défis des recruteur·euse·s et gestionnaires dans le milieu du travail. Selon une étude menée en 2022 par plusieurs chercheur·uese·s de l’Université Concordia et University of Calgary, parler avec un accent étranger peut être une source de traitement injuste ou biaisé dans de nombreux contextes de travail, ce qui constitue un désavantage important pour les personnes allochtones. Dans le même ordre d’idées, une enquête pancanadienne dirigée par les professeurs Antoine Bilodeau et Jean-Philippe Gauvin (de l’Université Concordia), et publiée en 2023, a montré que les expert·e·s ayant un accent étranger sont jugé·e·s moins crédibles que ceux·celles qui possèdent un accent considéré « neutre » ou « local ». Il mentionne aussi un terme essentiel pour mieux comprendre la glottophobie, lorsqu’il parle des « minorités audibles ». 

Alors, dans le but d’orienter les professionnels de ressources humaines, les gestionnaires ainsi que les organisations, on peut mentionner plusieurs actions à entreprendre, par exemple : 

  • Pour les postes de gouvernance, de gestion et de direction :

On pourrait offrir une formation sur la glottophobie et les préjugés linguistiques dans le but de faire comprendre qu’une communication réussie n’est pas nécessairement liée à la mesure dans laquelle le discours d’un·e employé·e est influencé par la ou les langues apprises précédemment. 

  • Pour les postes d’opération:

On pourrait organiser une séance ou une activité ayant pour sujet la glottophobie en milieu de travail avec la participation des diverses équipes, sous l’animation d’un·e practicien·ne en DÉI. 

  • D’ailleurs, les responsables de la gestion des talents et des ressources humaines pourraient :

Partager et publier des ressources sur les implications des stéréotypes basés sur l'accent, ainsi que faire connaître le règlement sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail. 

Il n’est pas toujours facile de réagir lorsqu’une blague ou un commentaire blessant à propos de notre accent se produit (et c’est tout à fait compréhensible de se sentir impuissant·e, en restant silencieux·euse·s). Néanmoins, il est de plus en plus nécessaire de hausser nos voix et de faire valoir le droit de montrer toutes les dimensions qui façonnent nos identités. 

Références (cliquez ici pour consulter les sources)

Alors que le français et l'anglais demeurent les principales langues parlées au Canada, la diversité linguistique continue de s'accroître au pays, Statistique Canada, 2023. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220817/dq220817a-fra.htm?indid=32989-2&indgeo=0 

À qui faire confiance ? L’accent et la couleur de la peau comme source de discrimination envers les experts. Jean-Philippe Gauvin et Antoine Bilodeau, Congrès de l’ACFAS, Université Concordia. 2023. https://www.acfas.ca/evenements/congres/programme/90/400/413/c 

Langues autochtones : quand le modèle canadien inspire à l’étranger, Julien Sahuquillo pour ICI Toronto, 2023. 

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2013689/autochtone-langue-taiwan-protection-revitalisation 

Les experts avec un accent sont jugés moins crédibles. Sarah R. Champagne dans Le devoir, 2023.  

https://www.ledevoir.com/societe/science/790655/etude-les-experts-avec-un-accent-sont-juges-moins-credibles 

Projet de loi no 96 : les faits. Gouvernement du Québec, 2023.  

https://www.quebec.ca/gouvernement/politiques-orientations/langue-francaise/pl96 

Règlement sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail. Gouvernement du Canada, 2024. 

https://laws.justice.gc.ca/fra/reglements/DORS-2020-130/index.html 

Statistiques sur les langues. Statistique Canada, 2024. 

https://www.statcan.gc.ca/fr/sujets-debut/langues 

What Do Students in Human Resource Management Know About Accent Bias? Pavel Trofimovich on Language Awareness, 2023.  

https://www.paveltrofimovich.ca/wp-content/uploads/2023/02/Trofimovich_et_al_2022.pdf

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