Les vagues de différence : une réflexion personnelle sur la discrimination raciale et les leçons de l’océan

Publié dans : Blog
Posté sur : 21 mars 2025

Par : Rochele Padiachy

J’ai toujours aimé l’eau. Ma mère disait que je savais nager avant de savoir marcher. Ayant grandi dans un pays doté de littoraux époustouflants, l’océan était ma joie. C’était un endroit où je me sentais libre, où les vagues semblaient infinies et où il y avait toujours la promesse d’une aventure. Mais un jour ensoleillé, lors d’une excursion familiale à la plage, j’ai appris une leçon qu’aucun·e enfant ne devrait avoir à apprendre. Ce jour-là, les vagues ne se sont pas contentées de s’écraser contre le rivage; elles se sont écrasées contre ma compréhension du monde.

Je m’en souviens très bien. La porte de la voiture s’est ouverte. J’ai filé comme une flèche vers l’océan avec excitation. Ma mère a crié après moi, sa voix aigüe et paniquée, mais je ne me suis pas arrêtée. J’ai couru aussi vite que j’ai pu. L’eau m’appelant par sa splendeur. Ce n’est que lorsqu’elle m’a rattrapée, en me tirant en arrière, que j’ai compris que quelque chose n’allait pas du tout.

« Tu ne peux pas aller là », dit-elle, la voix tremblante. « C’est la plage pour les personnes blanches. »

Dans ma confusion, j’ai regardé autour de moi. À ma droite, des familles étaient assises sur du sable doux, à l’ombre de parasols; d’autres riaient et jouaient dans l’eau. Ces personnes ne me ressemblaient pas. À ma gauche, d’autres familles grimpaient sur des rochers déchiquetés, trouvant de petits espaces inconfortables. Ces personnes aussi avaient l’air différentes. Et moi, j’étais debout, au milieu de tout ça, une enfant dont le seul crime était d’aimer l’océan. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte de ma différence, non seulement en tant qu’identité personnelle, mais aussi en tant que facteur déterminant de l’endroit où j’avais le droit d’être.

L’innocence de la différence

La Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale a été instituée par les Nations Unies pour commémorer les événements tragiques du 21 mars 1960, lorsque la police de Sharpeville, en Afrique du Sud, a ouvert le feu sur des manifestant·e·s pacifiques qui s’opposaient à la loi du laissez-passer de l’apartheid, tuant 69 personnes[i]. Cette journée rappelle au monde entier l’impact omniprésent du racisme et l’importance de s’y opposer sous toutes ses formes.

Les enfants voient le monde sans frontières, sans contraintes de race, de classe ou de privilège. Mais au fur et à mesure que nous grandissons, le monde nous enseigne ses divisions, ses règles concernant la place de chacun·e. Ce jour-là, sur la plage, j’ai appris que la splendeur de l’océan ne pouvait pas effacer l’abomination de la ségrégation. Le sable sous mes pieds n’était pas seulement du sable, c’était une ligne tracée par l’histoire, par le pouvoir, par des systèmes conçus pour exclure.

Pour beaucoup d’entre nous, cette journée internationale est un rappel de ces lignes, à la fois visibles et invisibles. Elle nous invite à examiner les systèmes qui soutiennent les iniquités, même dans les endroits les plus banals, comme une journée à la plage.

L’héritage de la ségrégation

Ce que j’ai vécu ce jour-là n’était pas unique. Il s’inscrit dans un héritage plus large de ségrégation et d’exclusion, enraciné dans des systèmes tels que l’apartheid dans mon pays d’origine ou le « redlining » (exclusion systématique) dans d’autres parties du monde[ii]. Ces systèmes ne se contentaient pas de dicter où les gens pouvaient vivre, travailler ou nager, ils façonnaient la manière dont nous nous percevions et celle dont nous percevions les autres.

Aujourd’hui, ces systèmes perdurent. Les lignes ne sont peut-être pas toujours tracées dans le sable, mais elles restent gravées dans les structures institutionnelles de nos sociétés.

Intersectionnalité et responsabilité

Sur cette plage, j’ai également remarqué autre chose : la diversité dans la différence. Chaque famille, qu’elle soit assise sur le sable doux ou qu’elle grimpe sur les rochers, avait sa propre histoire, ses propres défis et privilèges. C’est là que l’intersectionnalité devient critique.

Dans un message de l’ONU sur la célébration de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale en 2024, le Secrétaire général António Guterres a reconnu que « le racisme sévit partout, mais touche les populations différemment. » (Nations Unies. s.d.)[iii]. Ainsi, la lutte contre la discrimination raciale ne concerne pas seulement la race dans une optique compartimentée; il s’agit de comprendre comment la race s’entrecroise avec le genre, la classe, la capacité et d’autres aspects de l’identité

Nos efforts pour parvenir à l’équité doivent tenir compte de ces intersections. Il ne suffit pas de s’attaquer à une forme de discrimination en ignorant les autres. Les systèmes qui soutiennent le racisme sont interconnectés et nos efforts pour les démanteler doivent l’être également. Reconnaître la nature multidimensionnelle de la discrimination permet d’élaborer des stratégies plus complètes pour promouvoir la justice sociale et l’équité dans tous les espaces de vie.

Sensibilisation et action

Ce moment sur la plage est resté gravé dans ma mémoire. Il a semé une graine de conscience qui s’est développée au fil des ans, façonnant mon engagement en faveur de l’équité et de la justice. Il me rappelle que si le racisme systémique semble souvent insurmontable, le changement commence par ces moments d’éveil, à la fois personnels et très certainement collectifs.

La Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale est plus qu’une journée de commémoration. C’est une journée d’action et de réflexion sur la manière dont la discrimination raciale continue de façonner notre monde et sur l’engagement à la démanteler. C’est un appel à reconnaître que la lutte contre le racisme ne consiste pas seulement à aborder le passé, mais aussi à façonner l’avenir.

Un appel à l’action : honorer le passé et alimenter l’avenir

Cette journée est à la fois une commémoration solennelle des vies perdues et un puissant rappel de la résilience et des victoires remportées grâce à l’action collective.

Entre 2019 et 2023, le nombre de crimes de haine signalés par la police au Canada a plus que doublé, augmentant de 145 %[iv]. Selon Statistique Canada (juillet 2024), les incidents signalés sont passés de 3 612 en 2022 à 4 777 en 2023, soit un bond de 32 % en un an seulement[v]. Cette hausse fait suite à une augmentation de 8 % en 2022 et à une hausse stupéfiante de 72 % entre 2019 et 2021[vi]. Il est important de noter que ces chiffres ne reflètent que les cas signalés, ce qui signifie que l’ampleur réelle pourrait être encore plus élevée[vii].

Alors que le moment présent et les jours à venir laissent à beaucoup d’entre nous un sentiment d’incertitude et parfois de défaite, dans un contexte d’augmentation des crimes de haine et des menaces à la sécurité, il est essentiel de se rappeler que nos actions d’aujourd’hui honorent les normes établies et les succès de ceux·celles qui nous ont précédé·e·s.

Nous devons faire de cette journée une occasion de réaffirmer notre engagement en faveur de l’équité et de l’inclusion, de la considérer comme le carburant qui propulse notre mouvement collectif vers l’avant. Que cette journée nous rappelle le travail qu’il nous reste à accomplir, non pas comme un fardeau, mais comme un appel à l’action qui nous relie profondément à notre humanité commune.

V.A.G.U.E.s d’action

Pour honorer cette journée et rester mobilisé·e, considérez le cadre facile à retenir :

  • V – Valoriser les intersections : comprenez comment la race s’entrecroise avec d’autres identités, telles que le genre et la capacité, pour créer des formes complexes de discrimination.
  • A – Admettre les inégalités : reconnaissez les systèmes qui continuent à soutenir la discrimination dans votre contexte.
  • G – Guider à travers l’action et l’engagement : prenez des mesures concrètes, p. ex., plaidez pour des changements de politique, participez à des initiatives axées sur l’équité ou entretenez des conversations difficiles.
  • U – Unir les communautés : établissez des liens au-delà des différences, encouragez le mentorat, l’alliance et l’apprentissage partagé.
  • E – Entretenir des conversations à propos du passé : apprenez et réfléchissez à des événements historiques tels que Sharpeville et réfléchissez à leurs implications aujourd’hui.

Réflexions finales

Alors que nous célébrons la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale en 2025, je vous invite à réfléchir à vos propres moments d’éveil. Quelles sont les lignes que vous avez vues tracées dans le sable? Comment ont-elles façonné votre compréhension du monde et que pouvez-vous faire pour les effacer?

L’élimination de la discrimination raciale est un travail permanent. Il réside dans les politiques que nous défendons, les conversations que nous entretenons et les actions que nous entreprenons pour garantir qu’aucun·e enfant n’ait à faire face à sa différence dans un monde divisé par la haine.

Cette année, engageons-nous à faire plus que réfléchir. Prenons des mesures, petites ou grandes, pour poursuivre ce travail et persévérer! afin que la seule chose qui nous divise sur la plage soit la joie de construire des châteaux de sable ou de plonger dans les vagues. Car la joie de l’océan n’appartient pas à un seul groupe de personnes. Elle nous appartient à tou·te·s. Il en va de même pour le travail d’équité.

 

[i] Droits humains de l’ONU. (2021, 19 mars). The Sharpeville Massacre - standing up against racism. [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=S3s4OO6Ch2A

[ii] JACKSON, C. (2021, 17 août). What is redlining? The New York Times. https://www.nytimes.com/2021/08/17/realestate/what-is-redlining.html

[iii] Nations Unies. (s.d.). Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. Tiré de https://www.un.org/fr/observances/end-racism-day

[iv] Sécurité publique Canada. (2024, 7 août). Notes des comités parlementaires : Augmentation des crimes de haine. https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/trnsprnc/brfng-mtrls/prlmntry-bndrs/20240719/34-fr.aspx#:~:text=Le%20nombre%20de,dix%20ann%C3%A9es%20pr%C3%A9c%C3%A9dentes.

[v] Idem, Sécurité publique Canada, 2024

[vi] Idem, Sécurité publique Canada, 2024

[vii] Idem, Sécurité publique Canada, 2024

 

Ressources pour l’apprentissage continu

Apartheid Museum. (s.d.). Ressources page – Apartheid Museum. https://www.apartheidmuseum.org/resources

ANTIFAEFF, P. (2024). Transforming Hearts and Minds: Racial Equity Through Human Resources Policies and Practices.

Plan d’action canadien de lutte contre la haine. (2024). Dans Gouvernement du Canada (ISBN : 978-0-660-73772-0). Patrimoine canadien. https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/lutter-contre-haine/plan-action.html

Nations Unies. (s.d). Célébrations | Nations Unies. https://www.un.org/fr/observances

SABC News. (2023, 21 mars). Sharpeville massacre on the 21st of March 1960 [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=F1lZ199S8bU

 

Références (cliquez ici pour consulter les sources)

JACKSON, C. (2021, August 17). What is redlining? The New York Times. https://www.nytimes.com/2021/08/17/realestate/what-is-redlining.html

Sécurité publique Canada. (2024, 7 août). Notes des comités parlementaires : Augmentation des crimes de haine. https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/trnsprnc/brfng-mtrls/prlmntry-bndrs/20240719/34-fr.aspx#:~:text=Le%20nombre%20de,dix%20ann%C3%A9es%20pr%C3%A9c%C3%A9dentes.

Droits humains de l’ONU. (2021, 19 mars). The Sharpeville Massacre - standing up against racism. [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=S3s4OO6Ch2A

Nations Unies. (s.d.). Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. Tiré de https://www.un.org/fr/observances/end-racism-day.

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