Journée internationale sans régime: manifestations de la culture du régime en milieu de travail

Publié dans : Blog
Posté sur : 6 mai 2024

par Miriam Chiasson

Saviez-vous que le 6 mai est la Journée internationale sans régime? Cette journée a été célébrée pour la première fois en 1992 lorsque la féministe britannique Mary Evans Young, qui avait eu des problèmes avec son image corporelle et des troubles alimentaires toute sa vie, a invité ses ami·e·s à un pique-nique pour « laisser tomber les régimes ». Evans Young s’est engagée à faire de cet événement une journée reconnue à l’échelle internationale. Dès l’année suivante, en 1993, des femmes de différents pays se sont jointes à l’événement pour célébrer ce qui est rapidement devenu la Journée internationale sans régime. Il s’agit désormais d’un mouvement mondial qui fait partie intégrante des campagnes de la National Eating Disorders Association (l’ « Association nationale des troubles alimentaires » aux États-Unis)

La Journée internationale sans régime vise à remettre en question la culture du régime, à célébrer la diversité corporelle et à encourager les gens à déplacer leur attention des régimes de la honte qu’ils·elles s’infligent pour s’intéresser à d’autres choses pouvant améliorer leur vie de différentes manières. Cette journée est également une excellente occasion de réfléchir à la manière dont la culture du régime se manifeste dans nos environnements de travail. Les milieux de travail sont des microcosmes de notre société, et les discours culturels dominants y sont donc présents. La culture du régime ne fait pas exception.

La culture du régime est une notion sociétale selon laquelle être gros⋅se est toujours mauvais et malsain, et le poids d’une personne doit être une préoccupation constante. Cette culture insiste que :

  • les personnes doivent contrôler leur corps, en particulier leur alimentation, en étant constamment conscientes de leurs habitudes alimentaires et en s’en sentant coupables;
  • les habitudes alimentaires et les aliments sont soit toujours bons, soit toujours mauvais;
  • l’individu·e est toujours responsable de l’échec de ses tentatives de perte de poids, parce qu’il·elle ne s’y prend pas comme il faut ou ne fait pas assez d’efforts[i].

Cependant, la réalité est beaucoup plus complexe (consultez le ), et la culture du régime peut en fait être nuisible à notre bien-être.

La culture du régime se manifeste de différentes manières en milieu de travail. Certaines de ces manières sont très directes, comme la discrimination à l’embauche, l’écart salarial entre les personnes grosses et les personnes de taille normalisée qui affecte les femmes grosses de manière disproportionnée, l’intimidation et les mesures disciplinaires plus sévères. D’autres sont plus subtiles[ii]. Voici quelques exemples de la façon dont la grossophobie et la culture du régime se manifestent dans la vie quotidienne en milieu de travail.

Les conversations sur les régimes au travail

Pour les personnes grosses, les conversations sur les régimes au travail peuvent être des situations délicates à gérer. Certaines personnes grosses se sentent même mal à l’aise de manger devant les autres. Elles peuvent être confrontées à des commentaires sur leurs choix alimentaires qui renforcent la culture du régime et la grossophobie, ou entendre de tels commentaires visant d’autres personnes, et même des commentaires que les autres dirigent envers eux⋅elles-mêmes.

Les personnes grosses peuvent être confrontées à des commentaires comme :

  • « Tu es certain·e que tu devrais manger ça? », qui sous-entend que leurs choix alimentaires ne sont pas sains et que, parce qu’ils·elles sont gros·ses, ils·elles ne devraient pas manger d’aliments malsains.
  • « Tu manges un bon dîner santé! Essaies-tu de perdre du poids? Tant mieux pour toi! », qui suggère qu’il existe des choix alimentaires corrects et que ces choix sont nécessairement faits pour contrôler ou réduire son poids.
  • « Tu résistes à la tentation, c’est super! », si une personne grosse décide de ne pas manger des gâteries lorsque l’équipe fête un anniversaire ou une étape importante d’un projet, ce qui suggère que c’est une bonne chose d’éviter de manger certains aliments considérés comme mauvais.

Les personnes de taille normalisée peuvent également entendre ces commentaires. Il est alors sous-entendu que d’être gros⋅se est une mauvaise chose et que nous devrions faire tout en notre pouvoir pour éviter de devenir gros·se. Ces commentaires marginalisent les employé·e·s gros·ses et renforcent les principes toxiques de la culture du régime en milieu de travail[iii].

Rappelons-nous qu’il n’existe pas d’aliments universellement mauvais. Tous les aliments apportent des nutriments. Nous pouvons choisir de manger parce que c’est agréable. Manger peut également être un comportement social, comme partager un repas avec des ami·e·s ou des collègues, participer à une célébration ou ressentir un lien avec notre héritage et nos proches. Il existe de nombreuses raisons valables de manger toutes sortes d’aliments.

Par ailleurs, les habitudes alimentaires des autres ne nous regardent pas. Nous devrions simplement éviter de commenter sur ce que les autres mangent ou ne mangent pas. De plus, les conversations sur les régimes peuvent être un élément déclencheur pour les personnes qui sont en voie de guérison d’habitudes alimentaires troublées. Nous risquons de faire plus de mal que de bien en parlant de régimes.

Éviter de parler de régimes contribue à un milieu de travail plus inclusif, où chacun·e se sent en sécurité de faire les choix alimentaires qui correspondent à ses propres besoins.

Les commentaires sur l’apparence et les changements de poids des collègues

En plus des discussions sur les régimes, les commentaires sur l’apparence et les changements de poids des collègues, en particulier sur la perte de poids, abondent en milieu de travail. Les collègues qui ont perdu du poids sont félicité·e·s, célébré·e·s et acclamé·e·s comme des exemples à suivre. D’autres peuvent exprimer leur jalousie ou déplorer l’échec de leurs propres tentatives de perte de poids et demander aux collègues qui ont perdu du poids quel est leur « secret ».

Si les gens ne commentent pas directement la prise de poids d’une personne, ils·elles peuvent en parler en son absence. Ils·Elles peuvent utiliser des euphémismes tels que « Eest un peu plus grassouillette qu’avant » ou remettre en question ses habitudes alimentaires, comme « On dirait qu’il a été très gourmand ces derniers temps. » Les collègues de travail bien intentionné·e·s peuvent suggérer des conseils pour perdre du poids à leurs ami·e·s « grassouillet·te·s ». Les collègues moins bien intentionné·e·s peuvent commettre des actes de harcèlement ou d’intimidation.

Qu’il s’agisse de compliments ou de moqueries, qu’ils soient bien intentionnés ou non, subtils ou manifestes, et qu’ils s’adressent à des personnes grosses ou à des personnes de taille normalisée, ces commentaires renforcent la culture du régime et la grossophobe en milieu de travail. Ils créent des environnements dans lesquels les employé·e·s gros·ses peuvent se sentir inférieur·e·s et insignifiant⋅e⋅s, et ressentir de la honte.

N’oublions pas que nous ne connaissons pas l’état de santé des autres et nous ne savons pas ce qu’ils·elles vivent. Les personnes minces ne sont pas forcément en bonne santé et la perte de poids n’est pas forcément une bonne chose. Les personnes grosses ne sont pas forcément en mauvaise santé et la prise de poids n’est pas forcément une mauvaise chose. En outre, plusieurs éléments influencent le poids d’une personne au-delà des habitudes alimentaires et de l’exercice physique. Par exemple :

  • Une personne peut être aux prises avec des habitudes alimentaires troublées ou être en train de se rétablir d’habitudes alimentaires troublées. Les commentaires sur le poids peuvent encourager les personnes à poursuivre leurs habitudes alimentaires troublées ou les aggraver, ou provoquer des sentiments de honte, de culpabilité ou des pensées de rechute chez les personnes en voie de rétablissement.
  • Une personne peut être confrontée à une maladie qui entraîne une perte ou une prise de poids. Par exemple, les traitements contre le cancer peuvent provoquer une perte de poids et la rémission peut provoquer une prise de poids.
  • Une personne peut faire face à des difficultés personnelles, telles que la perte d’un·e être cher·ère, une rupture ou des difficultés financières, qui peuvent avoir un impact sur sa santé mentale et physique, y compris des variations de poids.

Enfin, nous n’avons pas le droit de commenter sur l’apparence et les changements de poids de nos collègues ou de leur attribuer une valeur morale. Si nous voulons faire des compliments à nos collègues, complimentons quelque chose qu’ils·elles contrôlent, comme leurs accomplissements ou leur caractère. Regarder au-delà de l’apparence peut nous aider à créer des liens à des niveaux plus profonds et plus significatifs avec les autres[iv].

La compétition autour de la santé et du bien-être

La culture du régime se manifeste également en milieu de travail par une atmosphère de compétition autour de la santé et du bien-être. La culture du régime moralise la santé et le poids et nous encourage à nous juger et à juger les autres en fonction de leur poids. Cela nous amène à faire des suppositions sur nos collègues et à nous comparer aux autres. Malgré le fait que nous n’exprimons pas toujours ces suppositions et ces comparaisons, elles ont néanmoins un impact sur notre perception des autres et de nous-mêmes, ainsi que sur nos comportements.

Les employeurs renforcent parfois cette atmosphère de compétition et de jugement. De nombreux employeurs proposent des programmes de bien-être en milieu de travail dans l’ensemble de leurs avantages sociaux. Ces programmes peuvent inclure des abonnements gratuits à des salles d’entraînement ou des cours d’exercices, des plans alimentaires ou des défis de mieux-être. Ces programmes sont parfois présentés de manière prescriptive, non seulement en encourageant les gens à participer, mais aussi en insistant sur le fait que les gens devraient participer et qu’il est honteux de ne pas le faire.

Les défis liés au bien-être alimentent particulièrement les attitudes de compétition et de jugement. Ces défis peuvent inclure :

  • des défis de perte de poids, où les personnes s’affrontent individuellement ou en équipe pour perdre le plus de poids ou atteindre un objectif de perte de poids;
  • les défis d’entraînement, où les personnes doivent suivre un certain nombre de séances de remise en forme ou faire de l’exercice pendant un certain nombre d’heures;
  • des défis d’alimentation saine, où les participant·e·s doivent cuisiner des recettes ou manger certains aliments perçus comme sains.

Il peut même y avoir des prix pour ceux·celles qui atteignent les objectifs des défis ou ceux·celles qui obtiennent les meilleurs résultats. Ces concours renforcent l’idée qu’il y a des gagnant·e·s et des perdant·e·s en matière de santé et de comportements favorisant la santé.

La compétition peut amener les gens à culpabiliser les autres pour avoir manqué une séance d’exercice ou mangé certains aliments, à féliciter les autres pour avoir sauté le dîner, à se vanter de leurs régimes et de leurs habitudes d’exercice, ou à dominer les autres avec leurs connaissances en matière d’alimentation ou de conditionnement physique. Ces comportements donnent un sentiment de supériorité à certain·e·s et d’infériorité à d’autres[v].

Cependant, la santé n’est pas une compétition. La santé se présente différemment d’une personne à l’autre et d’un moment à l’autre. Ce dont chacun·e a besoin pour améliorer sa santé est différent aussi. La culture du régime crée des attentes à ce que tout le monde adopte certains comportements qui peuvent ne pas être sains pour tou·te·s. En nous comparant aux autres selon ces attentes, nous ne tenons pas compte de ces différences individuelles et c’est donc contre-productif. La compétition et le jugement ne contribuent pas à un milieu de travail sain et inclusif.

Stratégies pour réagir aux manifestations de la culture du régime en milieu de travail

La Journée internationale sans régime est une excellente occasion d’en apprendre davantage sur la culture du régime, de réfléchir à son impact sur l’environnement de travail et de penser à des stratégies pour répondre à cet impact. Il existe des stratégies individuelles et des stratégies d’équipe que nous pouvons adopter.

Lorsque des personnes sont confrontées à des propos sur les régimes et à des commentaires grossophobes, elles peuvent être déstabilisées et, sur le coup, ne pas savoir comment réagir. Il est important d’identifier nos propres limites afin de réduire le tort que nous pourrions subir à cause de la grossophobie. Il n’y a pas de mal à être direct·e et à demander aux gens de ne pas faire de tels commentaires, à changer complètement de sujet ou à se retirer de la situation. Les personnes doivent se traiter avec compassion et reconnaître que la honte et la culpabilité sont injustifiées et improductives.

On peut également chercher l’appui d’allié·e·s potentiel·le·s. Les allié·e·s peuvent aider à éviter les conversations sur les régimes et les commentaires néfastes et prendre la parole pour que les personnes directement visées n’aient pas à le faire. Les allié·e·s peuvent écouter les expériences de leurs collègues et les valider. Ils·Elles peuvent également contribuer à sensibiliser l’ensemble de l’équipe à la grossophobie, aux torts qui passent inaperçus ainsi qu’aux comportements à éviter afin de favoriser une culture organisationnelle inclusive[vi].

Les employeurs jouent un rôle important. Les dirigeant·e·s doivent être à l’écoute des préoccupations de leurs employé·e·s et faire un effort de rendre les milieux de travail plus sécuritaires pour les personnes de toutes tailles. Les employeurs peuvent encourager les employé·e·s à dîner ensemble au lieu de manger seul·e·s à leurs bureaux. Cette initiative peut communiquer qu’il est sécuritaire de manger, permettre au personnel de faire une pause et de se nourrir, et développer des liens et des amitiés au-delà des suppositions engendrées par la culture du régime[vii].

La culture du régime est omniprésente. Nous tenons ses principes pour acquis et nous n’en sommes souvent pas conscient·e·s. Nous devons nous éduquer et nous donner la permission de se défaire des attentes et des règles qui ne contribuent pas à notre bien-être. Désapprendre la culture du régime est un travail de toute une vie. Alors que nous célébrons la Journée internationale sans régime, rappelons-nous que nous n’avons pas le droit de commenter sur les habitudes alimentaires, la santé et la taille des autres, que la santé est différente pour chacun·e et que la santé n’est pas une compétition. Nous pouvons tou·te·s contribuer à un environnement de travail plus inclusif pour tou·te·s, quelle que soit leur taille.

 

Références (cliquez ici pour consulter les sources)

[i] Dieting Myths Debunked, Center for Change, s.d., https://centerforchange.com/dieting-myths-debunked/

The Biggest Diet Culture Myths, According to a Dietician, The Everygirl, 2021, https://theeverygirl.com/dietician-talks-diet-myths/

What Is Diet Culture? Very Well Fit, 2022, https://www.verywellfit.com/what-is-diet-culture-5194402

[ii] Accommodation Options for Overweight Employees, HR Daily Advisor, 2019, https://hrdailyadvisor.blr.com/2019/04/26/accommodation-options-for-overweight-employees/

Unfit for Work: Weight Discrimination in the Workplace, Obésité Canada, 2021, https://obesitycanada.ca/weight-bias/unfit-for-work-weight-discrimination-in-the-workplace/

Weight Bias in the Workplace: Information for Employers, Obesity Action Coalition, 2015, https://www.obesityaction.org/wp-content/uploads/Weight-Bias-in-the-Workplace.pdf

[iii] Diet Talk Has Absolutely No Place At Work—And It’s Time We All Stopped, Girlboss, s.d., https://girlboss.com/blogs/read/why-food-talk-has-no-place-at-work

Navigating toxic diet culture conversations at work, A little nutrition, s.d., https://www.alittlenutrition.com/toxic-diet-culture-conversations

[iv] 20 Things to Compliment Someone On Other Than Appearance, Rachael Hartley Nutrition, s.d., https://www.rachaelhartleynutrition.com/blog/things-to-compliment-someone-on-other-than-appearance

Navigating Toxic Diet Culture Conversations at Work, A Little Nutrition, s.d., https://www.alittlenutrition.com/toxic-diet-culture-conversations

Diet Talk Has Absolutely No Place At Work—And It’s Time We All Stopped, Girlboss, s.d., https://girlboss.com/blogs/read/why-food-talk-has-no-place-at-work

[v] Weight Bias in the Workplace: Information for Employers, Obesity Action Coalition, 2015, https://www.obesityaction.org/wp-content/uploads/Weight-Bias-in-the-Workplace.pdf

Navigating Toxic Diet Culture Conversations at Work, A Little Nutrition, s.d., https://www.alittlenutrition.com/toxic-diet-culture-conversations

Diet Talk Has Absolutely No Place At Work—And It’s Time We All Stopped, Girlboss, s.d., https://girlboss.com/blogs/read/why-food-talk-has-no-place-at-work

[vi] How to resist diet culture in the workplace, BURLEY, Elise pour therapist.com, 2023, https://therapist.com/nutrition/how-to-resist-diet-culture-workplace/

The impact of diet culture on employee well-being, Altis Recruitment, 2023, https://www.altisrecruitment.com/learn/the-impact-of-diet-culture-on-employee-well-being

[vii] The impact of diet culture on employee well-being, Altis Recruitment, 2023, https://www.altisrecruitment.com/learn/the-impact-of-diet-culture-on-employee-well-being

6 Ways Employers Can Make the Workplace Safer for People with Eating Disorders, KONSTANTINOVSKY, Michelle pour Equip, 2023, https://equip.health/articles/diet-culture-and-society/eating-disorders-in-the-workplace 

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